Personnage discret voire énigmatique, Destru est un amateur de hip hop dans ce qui se fait de plus “traditionnaliste”. Adepte du rap politique et social, ce fin connaisseur n’envisage pas cet art noble, voix des dominés comme une entreprise ni comme un moyen d’exister. Dans cette interview, ce Bakounine du rap nous partage sa vision. Rencontre du troisième type. Excellente lecture!

 

Gstoremusic: Merci d’accepter cette interview. Pour commencer, on vous sait très discret, pourtant vous êtes sans doute l'un des observateurs le plus assidu et aussi le plus critique à l'égard du mouvement hip hop gabonais et du rap en particulier. Qui se cache derrière Destru?

Destru : Un putain de puriste qui aime la critique constructive. Destru c'est ma facette culture hip-hop, cette passion que j’ai embrassé y’a plus de 20 ans. Dans cette culture je ne fais pas de copain copain, la vérité est la plus belle chose de cette optique ! Même si ça ne plait pas à tout le monde… J'ai essayé le rap au Sénégal puis au Gabon (Destramoniak avec Amon d’Hantofeya Staff, Essingang avec Big-J du Bad Klan, Hommes 2 l’Ombres avec Lanslow Bidzofazah). Tellement perfectionniste que j'ai abandonné cette voie, je trouvais mon flow merdique ! J'ai voulu forcer mais avec le recul à un moment donné tu laisses tomber. Donc je me suis dit quelle pierre apportée pour pousser ma vision de ce mouvement. J'ai donc choisi la voie de la production musicale. Je suis beatmaker à mes heures perdues, car Destru, la première face est d'abord un père de famille ! Le hip-hop restera toujours au second plan...

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GSM : Cette vision radicale s'exprime à travers vos collaborations avec des artistes à la réputation hardcore "sans langue de bois". Notamment Avec Ken Kiz, Keurtyce entre autres. Comment sont nées ces collaborations ?

Destru : J'ai connu Ken Kiz et Ngongull il y'a environ une dizaine d'années lorsqu'ils étaient au Mali de mémoire, par hasard sur la plateforme Myspace. Notre vision proche hip-hopement parlant a fait que le feeling est passé tout de suite. Nous avons gardé le contact très régulièrement lors de leurs séjours au Mali et au Burkina Faso. Ce qui a débouché sur une production sur l'album de Poètes Fyziks et dix neuf productions sur le premier solo de Ken Kiz. Pour Keurtyce.E, je n'ai jamais collaboré proprement dit avec lui, j'ai eu la chance qu'il pose sur une de mes productions sur le premier album de Kyubi. c'est un artiste que je respecte beaucoup pour son engagement et son engouement pour le hip-hop, j'avais acheté son premier album Negrizterik sans connaitre l'homme, j'ai connu son producteur Master Funk en parallèle, c'est plutôt avec Master Funk que j'ai beaucoup échangé.

 

GSM : Cette proximité aurait pu donner naissance à une compilation. N’avez-vous pas eu idée de réunir ces artistes sur un projet?

Destru : J'ai eu plusieurs fois cette idée sur des sujets différents afin de collaborer avec des artistes qui avaient les mêmes affinités et qui partageaient la même l’idéologie du mouvement hip hop proches. Malheureusement, par manque de temps ces projets sont restés au stade embryonnaire.

 

GSM : Dans votre propos introductif, vous disiez ne pas faire copain copain en privilégiant la vérité. Est-ce à dire que nos rappeurs supportent mal la critique même objective?

Destru : Mes propos n'ont jamais été hypocrites mais uniquement véridiques dans le seul but de faire améliorer les choses dans le positif hip-hopement parlant. Les rappeurs la supportent très mal. Je précise aussi que mes critiques ne sont basés que sur mon idéologie du hip-hop, sur ma vision du hip-hop donc forcément quand deux personnes ne sont pas du même côté ça ne peut que t'irriter.

 

GSM : Comment expliquer selon vous que ceux qui critiquent tant la société soient si fermés à la critique de leurs oeuvres ?

Destru : C’est parce qu’ils se croient les numéros 1 mais c'est uniquement dans leur tête, un peu à la Booba. Si vous voyez ce que je veux dire, et l'arrogance vient forcément avec. Quand ils comprendront que le rap n'est pas une compétition on aura déjà réalisé un grand avancement. Lorsque je lis régulièrement sur Facebook des artistes qui disent ouvertement « venez écouter ma dernière tuerie », ils sont qui pour juger leurs propres œuvres ? Grosse erreur stratégique à mon goût ! Comment après cela peux-tu prétendre être objectif ? Ils se tirent eux-mêmes pour certains une balle dans le pied.

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GSM: L'absence d'espace critique pour le hip hop est-ce selon vous le premier mal de ce mouvement, ce qui l'empêche de réellement évoluer ?

Destru : Non. Le premier mal de ce mouvement ce sont les médias et les acteurs du mouvement eux-mêmes qui ont accepté d'être formatés. Je parle dans un cadre général sachant qu'au Gabon il n'y a pas d'industrie musicale. Mais au Gabon on est professionnel dans le suivisme donc la tendance suit. Je m'explique ! Les médias sont dans une seule optique : attirer les masses. Or qui dit attirer les masses dit toucher une plus grande partie de la population, ils ont donc dénaturé le rap en le rendant commercial, et qui dit commercial dit faire bouger les fesses. Le mouvement hip-hop a été pensé pour cela via la breakdance, etc. Mais les médias ont voulu utiliser le rap pour le faire également. Qui dit toucher plus de population dit vendre plus de disques. Tout est maintenant basé sur les profits, système capitaliste oblige ! La passion du début est devenue un art commercial. Qui dit art commercial dit faire n'importe quoi pour vendre plus. Il a évolué dans le mauvais sens en oubliant les bases, les codes, l'état d'esprit, etc. De nos jours, n'importe qui se dit rappeur ! Je suis pour le retour aux sources, pour retrouver un noyau dur qui ne pense que par passion. Je sais qu'il sera impossible de faire marche arrière puisque le monde est un système capitaliste. Je suis donc contre l'évolution de ces tendances qui ont perdu l'âme de la culture hip-hop.

 

GSM : Est-ce de cette manière qu’il faut comprendre ton prisme rapologique ?

Destru : Exactement. Mon prisme est de dire que le rap doit être utilisé comme un moyen d'expression, ce qui devient de moins en moins le cas, un moyen d'expression de contestation dénonciation et revendications, un moyen d'expression également éducatif pour les futures générations, un message qui conscientise. Les artistes doivent être des porte-paroles de cette génération à travers un message explicite et vrai. Les gens doivent se retranscrire à travers les différents messages, parler des maux qui minent le monde tout en proposant des solutions. Ça c'est pour le côté lyrics. Ensuite il y a la technique, ces artistes qui jouent avec les mots : jouer avec les rimes, jouer avec les syllabes ce que j'appelle l'art de la rime, comparaison, métaphore, assonance, hyperbole, etc. Après il y'a le son, gros sample de violon, piano etc. sur des gros kicks et snare accompagné de hit hat et charley avec un bpm oscillant de 85 à 100 etc.

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GSM : N’avez-vous pas peur qu'on vous taxe de réactionnaire ou de quelqu'un de nostalgique? A ceux-là que répondriez-vous?

Destru : Non, je n’ai pas peur, car j'assume mes positions, je me considère comme un puriste, je suis resté bloqué musicalement environ vingt ans en arrière. Je répondrais que chacun a ses positions, crois en tes convictions et ne les trahis jamais, on en reparlera d'ici quelques années.

 

GSM : C'est quoi exactement un puriste ?

Destru : Selon le dictionnaire : "Celui, celle qui est très soucieux de respecter les règles de l'art, d'atteindre un modèle idéal; qui est très attaché à la pureté d'une doctrine". Tout est dit !

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GSM : Est-ce que ce purisme est un refus catégorique de la modernité? Sinon comment il s'exprime dans les faits? Un rappeur par exemple peut-il selon cette conception, mêler une chanteuse R'n'B dans son morceau? Quelle est la limite à ne pas franchir si on veut rester dans la pureté même du Hip hop et du rap en particulier?

Destru : Je ne pense pas que c'est un refus catégorique de la modernité. C'est plutôt le refus d'un système capitaliste qui s'est emparé d'un mouvement culturel. Un rappeur peut tout à fait se mêler à une chanteuse R'N'B du moment qu'on n'associe pas cela au rap. Je suis plus dans l'optique de garder le sens des mots et qu'on arrête de les dénaturer. La limite à ne pas franchir selon ma vision est un changement vers des sonorités très électroniques, un changement de BPM criard, et des textes vides de sens. Les mélanges actuels de plus en plus fréquents entre rap, Rnb, ragga, reggae, etc. n'ont qu'un but commercial. Le problème est que le public croit que c'est du rap et ça, ça me dérange.

 

GSM : Le reproche qu'on peut vous faire à vous puristes, est de n'avoir pas aussi su ou pu créer des lieux de rencontres pour perpétuer ce que vous estimez aujourd'hui être l'essence même de cet art. Comment fait-on pour le perpétuer, car le tout n'est pas de décrier ce qui se fait actuellement. Que mettez-vous en place à ton humble niveau?

Destru : Vous avez tout à fait raison en soulignant ce point. Personnellement je suis quelqu'un de plutôt solitaire. A mon humble niveau, je donne mes productions gratuitement aux artistes qui ont une vision plus ou moins proche de la mienne, avoir toujours sa porte ouverte pour parler culture hip-hop et faire partager des artistes undergrounds de tous horizons qui sont restés dans ma vision rapologique. Par ailleurs, j'ai ouvert une page Youtube (https://www.youtube.com/user/destrupuriste) où il y a une majorité de rap gabonais que j'apprécie et qui sont malheureusement pour la plupart passés aux oubliettes.

 

GSM : Le contexte actuel est loin d'être génial artistiquement au Gabon en particulier. Y a-t-il selon vous des figures qui sortent du lot ou qui essaient de se distinguer par leur originalité ?

Destru : Personnellement j'apprécie des artistes qui font du rap comme j'aime selon ma vision du mouvement hip-hop. Je ne citerai aucun nom car la plupart sont des proches et on m'accusera de faire du favoritisme. Après si on parle d'originalité je ne vois que MH même si je ne considère pas cela comme du rap pur et dur.

 

GSM : En fait pour les internautes il serait bien d'avoir des noms pour qu’ils aient une meilleure représentation de ta vision. Il peut aussi s'agir de ceux qui ont arrêté.

Destru : Rires… Je m’arrêterai donc à quelques noms car tout le reste sont des connaissances : SIYA PO'OSSI X, MUDJAH SOLDIERZ, RODY, H-CLICK, HM70, NOUVEL S’KADRON, KARTEL D’OWENDO….

 

Lire PART 2 ==> (https://www.gstoremusic.com/articles/58-la-presque-grande-interview-de-quotdestruquot-la-lumire-de-lobscurit-part-2)

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